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    Mi-septembre, le fondateur de l’entreprise de vêtements Patagonia, Yvon Chouinard, a annoncé le transfert de la propriété de son entreprise à des fonds chargés de soutenir la lutte contre la crise écologique. Retour sur une annonce qui a suscité l’enthousiasme, mais qui apparaît comme une redoutable illusion.

    La gestion économique de la crise écologique par le capitalisme peut parfois prendre des aspects étonnants. Soumis à la pression d’une crise désormais visible et incontournable, le système productif tente de trouver des réponses tout en assurant sa pérennité. Évidemment, l’enjeu de communication est souvent central dans ces mouvements. On pense notamment à la récupération, accompagnée d’un effondrement du sens, de termes comme « sobriété » ou « planification » par le gouvernement français. Mais il y a des mesures plus subtiles et qui peuvent, à première vue, paraître plus convaincantes.

    À cet égard, l’exemple de Patagonia a pu sembler pour beaucoup une solution séduisante. Voici un mois, Yvon Chouinard, 83 ans, patron et fondateur de l’entreprise états-unienne de vêtements, a annoncé qu’il transmettait l’intégralité des actions détenues par sa famille à deux fonds chargés de soutenir des actions écologistes. Cette annonce a provoqué une vague d’enthousiasme dans la presse, notamment dans le New York Times, et au-delà.

    Dans une tribune publiée par Le Monde le 3 octobre, des entrepreneurs français ayant fait des choix proches soutenaient l’idée que le cas Patagonia était un « choix radical, politique et engagé » qui permettait d’apporter « des relais puissants de contribution au bien commun ». Et de conclure : « Qu’il nous encourage à faire des émules ! »

    La réponse à la crise écologique pourrait alors passer par un changement au cœur même des entreprises et de leur gestion. Des entreprises écologiques devraient, en quelque sorte, permettre la sauvegarde de la planète. Ces affirmations ne sont certes pas nouvelles, elles circulent depuis des années et ont même donné lieu en France, en 2018, à la modification du Code civil pour intégrer la notion de « partie prenante » dans l’objectif des entreprises. Mais ce changement était purement cosmétique et n’avait aucun impact concret.

    Il faut bien convenir que le projet Patagonia est plus ambitieux, parce qu’il touche précisément à la propriété de l’entreprise. Dans sa lettre adressée aux salariés et salariées et qui est fièrement affichée sur le site de l’entreprise, Yvon Chouinard proclame d’emblée : « La Terre est notre unique actionnaire. » Derrière cet affichage, il y a cependant un montage financier.

    Les actions avec droit de vote, celles qui décident de la marche de l’entreprise, ont été ainsi transmises à un fonds, ou plutôt à un trust, autrement dit un fonds anonyme, le Patagonia Purpose Trust (PPT), « dont le but est de protéger les valeurs de [la] société ». C’est cette structure qui, désormais, prendra les décisions stratégiques pour l’entreprise.

    Les actions sans droit de vote, mais qui représentent 98 % des titres en circulation, ont, elles, été transmises à une association à but non lucratif, Holdfast Collective, « dont le but est de combattre la crise environnementale et de protéger la nature ». C’est cette association qui recevra les dividendes futurs de Patagonia.

    Ce montage a tout pour séduire, sur le papier, et la mise en scène orchestrée par la famille Chouinard a renforcé cette impression. Dans sa lettre, comme dans l’article du New York Times du 14 septembre qui l’a précédée, le fondateur de Patagonia a mis à plat les options qui s’offraient à lui : la vente de l’entreprise, la mise en bourse ou le legs. Les trois options ont été écartées par le patron, qui aime à dire (c’est l’incipit de sa lettre) qu’il « n’[a] jamais souhaité être un entrepreneur ».

    Des éléments séduisants La vente ne permettait pas d’assurer les fameuses « valeurs » de l’entreprise. Depuis des années, Patagonia n’a cessé de communiquer sur son « engagement » en faveur de l’écologie. L’entreprise est passée intégralement au bio et 1 % des ventes (estimé à près de un milliard de dollars) est ainsi transféré à des associations environnementales. C’était ce qui était jugé en danger en cas de vente pure et simple.

    Il en allait de même de la mise en bourse qui était, au reste, l’option la plus rejetée par Yvon Chouinard, pourfendeur du « capitalisme financier ». Quant au legs, autrement dit la transmission aux enfants du fondateur, l’option a été repoussée par les héritiers eux-mêmes, qui se veulent aussi désintéressés, en apparence, que leur géniteur.

    La solution promue par Yvon Chouinard s’appuie donc sur deux puissants éléments de séduction : le désintéressement des propriétaires, prêts à se priver de l’argent d’une vente ou d’un héritage, et la défense de « valeurs » jugées supérieures aux intérêts monétaires. La solution Patagonia peut donc se parer de vertus liées au bien commun. Dès lors, le choix de la nouvelle structure porte l’ensemble des éléments de cette construction : il apparaît comme un acte de résistance au capitalisme mondial et un garant de l’engagement écologique de l’entreprise. [… ]